mercredi 14 septembre - par Richard Schneider
La fin de l’Histoire... de France ?
« Un peuple qui n'enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité " F.Mitterand
Depuis 2008, dans les collèges, et 2011, dans les Lycées, les nouveaux programmes en Histoire suscitent une certaine émotion. L’historien Dimitri Casali en dénonce les dérives et le collectif « Notre Histoire forge notre Avenir », mené par Benoît Crespin, multiplie les pétitions contre cette « réforme ».
De quoi s’agit-il ? Dans le cadre de la « libéralisation » de l’École, il s’agit d’imposer à l’enseignement de l’Histoire des critères libéraux qui reposent sur l’utilitarisme du savoir, sur la pensée unique et le politiquement correct …
Le programme de sixième passe sans transition de l'Empire romain au IIIe siècle à l'empire de Charlemagne, soit une impasse de six siècles. Les migrations des IVe et Ve siècles (les fameuses « invasions barbares ») ne sont plus évoquées. Pourquoi ? Il est pourtant intéressant d'expliquer aux élèves qu'après plusieurs siècles d'infiltration à travers le limes, au V° s., les "barbares" ont fait exploser l'Empire Romain d'Occident.
Plus un mot sur le partage de l'empire carolingien : veut-on occulter que le Traité de Verdun (843) qui conditionne l’Histoire non seulement de la Francia Occidentalis, mais de toute l’Europe occidentale, est une des causes – lointaines - de l'antagonisme franco-germanique (pour aller vite) qui a duré plus de 1250 ans ?
N'est plus étudiée non plus la patiente construction de l'État français - qui s'étale sur plusieurs siècles. Elle n'a pu être possible que par l'action des certains monarques (et ministres) - comme Saint-Louis, Louis XI, François 1er, ou comme Louis XIII (et Richelieu), Louis XIV - pour être achevée par la Révolution et Napoléon 1er. Les nouveaux programmes « n’aiment pas » les "hommes illustres" ! C'est dommage : les élèves ont toujours préféré une histoire faite de chair et de sang à une histoire désincarnée ... Souvenons-nous de la page célèbre de Louis Guilloux (dans Le Sang noir), dans laquelle l'auteur raconte avec émotion les moments merveilleux pendant lesquels "son" maître d'école racontait l'histoire d'un de nos « grand » rois.
En cinquième, "Le Siècle de Louis XIV" est relégué tout à la fin d'un programme qui s'étend sur plus de mille ans, d'autant plus qu'il est noyé dans un thème intitulé "l'émergence du roi absolu". Il est vrai que dans le contexte actuel étudier le rayonnement de la civilisation française, en France et à l'étranger, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle fait un peu désordre … Au final, c'est à peine si les enfants à la fin de leur scolarité obligatoire (fin de la 3°), auront entendu parler de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Le Brun, Le Nôtre etc ...
En revanche, Les instructions officielles imposent l'étude de plusieurs civilisations extra-européennes à certaines périodes :
- Au choix :« la Chine des Hans à son apogée », c'est-à-dire sous le règne de l'empereur Wu (140-87 avant J.-C.), ou « l'Inde classique aux IVe et Ve siècles », au sein de la partie « Regards sur des mondes lointains » représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe de sixième ;
- Au choix, l'empire du Ghana (VIIIe-XIIe siècles), l'empire du Mali (XIIIe-XIVe siècles), l'empire Songhaï (XIIe-XVIe siècles) ou le Monomotapa (XVe-XVIe siècles), au sein de la partie « Regards sur l'Afrique » représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe decinquième. Cette partie comprend l'étude de la naissance et du développement des traites négrières (traites orientales et internes à l'Afrique noire).
La connaissance des histoires de la Chine, de l'Inde ou de l'Afrique est importante et passionnante. Il est regrettable cependant qu'il faille se contenter de les survoler (10% du programme !) et ce au détriment de l'Histoire de France. Pour bien faire, il faudrait allonger les horaires - au lieu de continuellement les rogner …
Cette décision officielle de l’Education nationale, qui date de 2008, a été prise au nom de « l’ouverture aux autres civilisations de notre monde ». Laurent Wirth, doyen du groupe histoire-géographie de l’inspection générale du ministère, cite ainsi en exemple « de nombreux jeunes dans nos écoles qui sont d’origine africaine : il faut aussi qu’ils se reconnaissent dans nos programmes ». Il est vrai, selon une enquête de l'Ined (rapport « Trajectoires et origines », 2010), bien que de nationalité française, 37 % des jeunes d'origine étrangère ne se sentent pas français
Donc, pour donner satisfaction à certaines associations, il faudrait épouser la diversité culturelle des élèves. Ce qui est contestable. En effet, c'est une porte ouverte au communautarisme. De plus ce raisonnement risque d'aboutir à un éparpillement des thèmes et des champs d'étude, rendant encore plus difficile l'assimilation des connaissances ... La culture est la base de notre société et cette culture est notamment fondée sur la connaissance de l'histoire du pays où l'on vit, quelle que soit son origine géographique. Comme dit l'adage, on ne comprend que ce que l'on connaît. « L'Histoire est une garantie d'intégration, car elle est un moyen d'accéder aux modes de compréhension de notre société ».
C’est Marc Bloch qui a le mieux résumé la compréhension de l’Histoire de notre pays : "Il y a deux catégories d'hommes qui ne comprendront jamais l'Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération".
D’après les instructions officielles de 2010, après le Collège « les grands repères chronologiques étant fixés » (sic), l’enseignement de l’Histoire, au Lycée, sera enfin débarrassé de ces dates qui encombrent la mémoire et nuisent à la compréhension du fait historique dans sa totalité.
Vu les coupes sombres dans les programmes ou la longueur démesurée des périodes survolées de la 6e à la 3e, il est faux de prétendre que la chronologie est maîtrisée à l’entrée en 2e. Il est tout aussi inexact de prétendre que les historiens de l' École des Annalesont négligé les dates et les périodes capitales de l'Histoire. Dans son ouvrage « Philippe II et la Méditerranée », rédigé de mémoire en captivité pendant la 2e Guerre Mondiale, Fernand Braudela consacré un long chapitre intitulé : "Lepante, 1571", date qu'il estime capitale dans la compréhension de l'Histoire de la Méditerranée.
D’autre part, le système des options, nouvellement introduit, aboutit à une Histoire à trous, lacunaire, atomisée, qui rend beaucoup plus difficile l'assimilation par les élèves de la chronologie, "cette juste représentation de la profondeur historique". Ainsi, le nouveau programme de première est édifiant. Il repose sur un système de modules non pas chronologiques mais thématiques, qui peuvent être disposés dans n'importe quel ordre : « La guerre au XXe siècle » ; « Le siècle des totalitarismes » ; « Les Français et la République »... Avec ce système, comment expliquer le rôle déterminant de la Première Guerre mondiale dans la genèse des totalitarismes, la guerre civile espagnole, et même la Seconde Guerre mondiale. "Sans chronologie, l'Histoire est une langue sans grammaire. Sans elle, notre connaissance du passé est vouée à l'anachronisme, cette incapacité d'inscrire un événement ou un personnage dans son contexte. Sans elle, nous sommes voués à l'amnésie..."
Alors, amnésie du passé, c.à.d. la "fin de l'Histoire", souhaitée par certains après la chute du mur de Berlin ? cf. La Fin de l'Histoire et le dernier homme (1992).
Cela paraît hautement improbable - la dernière décennie a été particulièrement fertile en événements douloureux. Francis Fukuyama, dont il faut rappeler la doctrine qui tient pour inéluctable l’avènement du capitalisme triomphant et la fin des idéologies, ne fut pas le premier à prophétiser la fin de l’Histoire. Avant lui, le marxiste Alexandre Kojève, au milieu du XX°, avait fait le même pari. Et à chaque fois l'Histoire est revenue au premier plan.
En revanche, avec l'introduction de ces nouveaux programmes, c’est probablement la fin denotre Histoire nationale en tant que matière d’enseignement.
S'il y a dans les instructions de 2008 et de 2011 des objectifs avoués (voir plus haut, les propos de Laurent Wirth), il y a aussi des buts cachés.
- On n'étudie plus "les invasions barbares" et le mécanisme de la destruction de l'Empire romain : craintes par rapport à l'actualité ?
- Exit les "grands hommes " (Saint-Louis, François 1er, Louis XI, Louis XIV, etc ...) :
• ainsi François 1er : il a promulgué l'ordonnance de Villers-Cotterets en 1539, qui rend le François obligatoire pour les actes d'état-civil. Il est de bon aloi depuis de longues années de critiquer la notion d’Etat, dont l’un des fondements est la langue commune (le Français). Pour la remplacer par un idiome passe-partout, l’anglais commercial ?
- Réduction à la portion congrue de certains événements majeurs : la Révolution Française et l'Empire qui ont changé la face du monde :
• la Révolution et l'Empire ont eu le tort de répandre des « idées pernicieuses », tels la liberté des peuples de disposer d’eux-mêmes et le concept de Nation - concept qui sera d’ailleurs repris, dès 1808, contre l’occupant français, par Fichte ("Rede an die deutsche Nation") et par les « patriotes » en Europe mais aussi ailleurs dans le Monde pendant plus d’un siècle ;
• pour bien accréditer la fin des idéologies et le triomphe du libéralisme, faut-il s'étonner devoir la Révolution de 1848 et la Commune de Paris évacuées des programmes ? Mais plus plus étonnant encore, même les grandes figures républicaines (Gambetta, Jules Ferry, Hugo) sont virées ! (NB. Signalons que le régime de Vichy se résume à une simple « négation » de la République). Tout ce qui n’est pas politiquement correct ne mérite pas une étude approfondie !
- Les conflits meurtriers du XX°s. sont noyées dans un thème intitulé : « La guerre au XX°s. ». Pourquoi ? le but recherché ne serait-il pas de banaliser les conflits franco-allemands en particulier, de gommer des souvenirs douloureux pour réussir la construction d’une Europe libérale ? C’est en tout cas une lecture possible du Bulletin officiel spécial du 19 avril 2010 : minimiser tout ce que le XX°s. avait de “tragique”, pour reprendre l’expression d’Eric J. Hobsbawm (cf.L'Âge des extrêmes - Le Court Vingtième Siècle 1914-1991), pour mieux imposer aux peuples, sous couvert de réconciliation générale, une idéologie capitaliste mondialisée.
L’objectif final de ce train de mesures pourrait être : Éduquer les peuples de telle façon qu’ils soient prêts à accepter sans rechigner une nouvelle « Weltanschauung ». Ainsi, apparaîtrait un homme nouveau ignorant son passé et acceptant sans esprit critique son avenir …
Certes, l'enseignement de l'Histoire a besoin d'évoluer dans le sens d'une plus grande modernité, voire de s’ouvrir davantage sur le monde. Mais si cette évolution doit prendre le même chemin que la World Music, c.à.d. un "truc" sans odeur et sans saveur, censé plaire au plus grand nombre, et surtout si elle éradique toute critique en uniformisant les esprits, alors je crois que notre spécificité culturelle est en grand danger. Comment résister ? Tâche très difficile. Peut-être, en paraphrasant Valéry, "toute civilisation est mortelle", faudra-t-il nous résigner un jour que la civilisation française finira par se diluer dans ce grand magmas sirupeux, appelé mondialisation ? ...
Source: http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-fin-de-l-histoire-de-france-100654
La fin de l’Histoire... de France ?
« Un peuple qui n'enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité " F.Mitterand
Depuis 2008, dans les collèges, et 2011, dans les Lycées, les nouveaux programmes en Histoire suscitent une certaine émotion. L’historien Dimitri Casali en dénonce les dérives et le collectif « Notre Histoire forge notre Avenir », mené par Benoît Crespin, multiplie les pétitions contre cette « réforme ».
De quoi s’agit-il ? Dans le cadre de la « libéralisation » de l’École, il s’agit d’imposer à l’enseignement de l’Histoire des critères libéraux qui reposent sur l’utilitarisme du savoir, sur la pensée unique et le politiquement correct …
Le programme de sixième passe sans transition de l'Empire romain au IIIe siècle à l'empire de Charlemagne, soit une impasse de six siècles. Les migrations des IVe et Ve siècles (les fameuses « invasions barbares ») ne sont plus évoquées. Pourquoi ? Il est pourtant intéressant d'expliquer aux élèves qu'après plusieurs siècles d'infiltration à travers le limes, au V° s., les "barbares" ont fait exploser l'Empire Romain d'Occident.
Plus un mot sur le partage de l'empire carolingien : veut-on occulter que le Traité de Verdun (843) qui conditionne l’Histoire non seulement de la Francia Occidentalis, mais de toute l’Europe occidentale, est une des causes – lointaines - de l'antagonisme franco-germanique (pour aller vite) qui a duré plus de 1250 ans ?
N'est plus étudiée non plus la patiente construction de l'État français - qui s'étale sur plusieurs siècles. Elle n'a pu être possible que par l'action des certains monarques (et ministres) - comme Saint-Louis, Louis XI, François 1er, ou comme Louis XIII (et Richelieu), Louis XIV - pour être achevée par la Révolution et Napoléon 1er. Les nouveaux programmes « n’aiment pas » les "hommes illustres" ! C'est dommage : les élèves ont toujours préféré une histoire faite de chair et de sang à une histoire désincarnée ... Souvenons-nous de la page célèbre de Louis Guilloux (dans Le Sang noir), dans laquelle l'auteur raconte avec émotion les moments merveilleux pendant lesquels "son" maître d'école racontait l'histoire d'un de nos « grand » rois.
En cinquième, "Le Siècle de Louis XIV" est relégué tout à la fin d'un programme qui s'étend sur plus de mille ans, d'autant plus qu'il est noyé dans un thème intitulé "l'émergence du roi absolu". Il est vrai que dans le contexte actuel étudier le rayonnement de la civilisation française, en France et à l'étranger, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle fait un peu désordre … Au final, c'est à peine si les enfants à la fin de leur scolarité obligatoire (fin de la 3°), auront entendu parler de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Le Brun, Le Nôtre etc ...
En revanche, Les instructions officielles imposent l'étude de plusieurs civilisations extra-européennes à certaines périodes :
- Au choix :« la Chine des Hans à son apogée », c'est-à-dire sous le règne de l'empereur Wu (140-87 avant J.-C.), ou « l'Inde classique aux IVe et Ve siècles », au sein de la partie « Regards sur des mondes lointains » représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe de sixième ;
- Au choix, l'empire du Ghana (VIIIe-XIIe siècles), l'empire du Mali (XIIIe-XIVe siècles), l'empire Songhaï (XIIe-XVIe siècles) ou le Monomotapa (XVe-XVIe siècles), au sein de la partie « Regards sur l'Afrique » représentant 10 % du temps consacré à l'Histoire de la classe decinquième. Cette partie comprend l'étude de la naissance et du développement des traites négrières (traites orientales et internes à l'Afrique noire).
La connaissance des histoires de la Chine, de l'Inde ou de l'Afrique est importante et passionnante. Il est regrettable cependant qu'il faille se contenter de les survoler (10% du programme !) et ce au détriment de l'Histoire de France. Pour bien faire, il faudrait allonger les horaires - au lieu de continuellement les rogner …
Cette décision officielle de l’Education nationale, qui date de 2008, a été prise au nom de « l’ouverture aux autres civilisations de notre monde ». Laurent Wirth, doyen du groupe histoire-géographie de l’inspection générale du ministère, cite ainsi en exemple « de nombreux jeunes dans nos écoles qui sont d’origine africaine : il faut aussi qu’ils se reconnaissent dans nos programmes ». Il est vrai, selon une enquête de l'Ined (rapport « Trajectoires et origines », 2010), bien que de nationalité française, 37 % des jeunes d'origine étrangère ne se sentent pas français
Donc, pour donner satisfaction à certaines associations, il faudrait épouser la diversité culturelle des élèves. Ce qui est contestable. En effet, c'est une porte ouverte au communautarisme. De plus ce raisonnement risque d'aboutir à un éparpillement des thèmes et des champs d'étude, rendant encore plus difficile l'assimilation des connaissances ... La culture est la base de notre société et cette culture est notamment fondée sur la connaissance de l'histoire du pays où l'on vit, quelle que soit son origine géographique. Comme dit l'adage, on ne comprend que ce que l'on connaît. « L'Histoire est une garantie d'intégration, car elle est un moyen d'accéder aux modes de compréhension de notre société ».
C’est Marc Bloch qui a le mieux résumé la compréhension de l’Histoire de notre pays : "Il y a deux catégories d'hommes qui ne comprendront jamais l'Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération".
D’après les instructions officielles de 2010, après le Collège « les grands repères chronologiques étant fixés » (sic), l’enseignement de l’Histoire, au Lycée, sera enfin débarrassé de ces dates qui encombrent la mémoire et nuisent à la compréhension du fait historique dans sa totalité.
Vu les coupes sombres dans les programmes ou la longueur démesurée des périodes survolées de la 6e à la 3e, il est faux de prétendre que la chronologie est maîtrisée à l’entrée en 2e. Il est tout aussi inexact de prétendre que les historiens de l' École des Annalesont négligé les dates et les périodes capitales de l'Histoire. Dans son ouvrage « Philippe II et la Méditerranée », rédigé de mémoire en captivité pendant la 2e Guerre Mondiale, Fernand Braudela consacré un long chapitre intitulé : "Lepante, 1571", date qu'il estime capitale dans la compréhension de l'Histoire de la Méditerranée.
D’autre part, le système des options, nouvellement introduit, aboutit à une Histoire à trous, lacunaire, atomisée, qui rend beaucoup plus difficile l'assimilation par les élèves de la chronologie, "cette juste représentation de la profondeur historique". Ainsi, le nouveau programme de première est édifiant. Il repose sur un système de modules non pas chronologiques mais thématiques, qui peuvent être disposés dans n'importe quel ordre : « La guerre au XXe siècle » ; « Le siècle des totalitarismes » ; « Les Français et la République »... Avec ce système, comment expliquer le rôle déterminant de la Première Guerre mondiale dans la genèse des totalitarismes, la guerre civile espagnole, et même la Seconde Guerre mondiale. "Sans chronologie, l'Histoire est une langue sans grammaire. Sans elle, notre connaissance du passé est vouée à l'anachronisme, cette incapacité d'inscrire un événement ou un personnage dans son contexte. Sans elle, nous sommes voués à l'amnésie..."
Alors, amnésie du passé, c.à.d. la "fin de l'Histoire", souhaitée par certains après la chute du mur de Berlin ? cf. La Fin de l'Histoire et le dernier homme (1992).
Cela paraît hautement improbable - la dernière décennie a été particulièrement fertile en événements douloureux. Francis Fukuyama, dont il faut rappeler la doctrine qui tient pour inéluctable l’avènement du capitalisme triomphant et la fin des idéologies, ne fut pas le premier à prophétiser la fin de l’Histoire. Avant lui, le marxiste Alexandre Kojève, au milieu du XX°, avait fait le même pari. Et à chaque fois l'Histoire est revenue au premier plan.
En revanche, avec l'introduction de ces nouveaux programmes, c’est probablement la fin denotre Histoire nationale en tant que matière d’enseignement.
S'il y a dans les instructions de 2008 et de 2011 des objectifs avoués (voir plus haut, les propos de Laurent Wirth), il y a aussi des buts cachés.
- On n'étudie plus "les invasions barbares" et le mécanisme de la destruction de l'Empire romain : craintes par rapport à l'actualité ?
- Exit les "grands hommes " (Saint-Louis, François 1er, Louis XI, Louis XIV, etc ...) :
• ainsi François 1er : il a promulgué l'ordonnance de Villers-Cotterets en 1539, qui rend le François obligatoire pour les actes d'état-civil. Il est de bon aloi depuis de longues années de critiquer la notion d’Etat, dont l’un des fondements est la langue commune (le Français). Pour la remplacer par un idiome passe-partout, l’anglais commercial ?
- Réduction à la portion congrue de certains événements majeurs : la Révolution Française et l'Empire qui ont changé la face du monde :
• la Révolution et l'Empire ont eu le tort de répandre des « idées pernicieuses », tels la liberté des peuples de disposer d’eux-mêmes et le concept de Nation - concept qui sera d’ailleurs repris, dès 1808, contre l’occupant français, par Fichte ("Rede an die deutsche Nation") et par les « patriotes » en Europe mais aussi ailleurs dans le Monde pendant plus d’un siècle ;
• pour bien accréditer la fin des idéologies et le triomphe du libéralisme, faut-il s'étonner devoir la Révolution de 1848 et la Commune de Paris évacuées des programmes ? Mais plus plus étonnant encore, même les grandes figures républicaines (Gambetta, Jules Ferry, Hugo) sont virées ! (NB. Signalons que le régime de Vichy se résume à une simple « négation » de la République). Tout ce qui n’est pas politiquement correct ne mérite pas une étude approfondie !
- Les conflits meurtriers du XX°s. sont noyées dans un thème intitulé : « La guerre au XX°s. ». Pourquoi ? le but recherché ne serait-il pas de banaliser les conflits franco-allemands en particulier, de gommer des souvenirs douloureux pour réussir la construction d’une Europe libérale ? C’est en tout cas une lecture possible du Bulletin officiel spécial du 19 avril 2010 : minimiser tout ce que le XX°s. avait de “tragique”, pour reprendre l’expression d’Eric J. Hobsbawm (cf.L'Âge des extrêmes - Le Court Vingtième Siècle 1914-1991), pour mieux imposer aux peuples, sous couvert de réconciliation générale, une idéologie capitaliste mondialisée.
L’objectif final de ce train de mesures pourrait être : Éduquer les peuples de telle façon qu’ils soient prêts à accepter sans rechigner une nouvelle « Weltanschauung ». Ainsi, apparaîtrait un homme nouveau ignorant son passé et acceptant sans esprit critique son avenir …
Certes, l'enseignement de l'Histoire a besoin d'évoluer dans le sens d'une plus grande modernité, voire de s’ouvrir davantage sur le monde. Mais si cette évolution doit prendre le même chemin que la World Music, c.à.d. un "truc" sans odeur et sans saveur, censé plaire au plus grand nombre, et surtout si elle éradique toute critique en uniformisant les esprits, alors je crois que notre spécificité culturelle est en grand danger. Comment résister ? Tâche très difficile. Peut-être, en paraphrasant Valéry, "toute civilisation est mortelle", faudra-t-il nous résigner un jour que la civilisation française finira par se diluer dans ce grand magmas sirupeux, appelé mondialisation ? ...
Source: http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-fin-de-l-histoire-de-france-100654