Comme beaucoup d’autres, je tiens «Guerre et paix» de Tolstoï pour le plus grand roman jamais écrit dans toute l’histoire de la littérature et me faisais une joie d’en voir l’adaptation télévisée en quatre épisodes sur France 2. On nous annonçait une gigantesque production internationale, de grands moyens, des foules de figurants, des tournages à St-Petersbourg et en Pologne, bref l’affiche était alléchante.
Au final, une déception sans nom: comment est-il possible de saboter ainsi une telle oeuvre?
Certes le livre n’est pas facile à adapter au cinéma,
en raison de son ampleur et de sa complexité, mais, tout de même, le
réduire aux seules intrigues amoureuses des personnages principaux sur
fond de guerres napoléoniennes, c’était vraiment passer à côté de
l’essentiel de ce roman.
Il
est vrai que les personnages de Tolstoï ont une telle épaisseur
humaine, que même en les réduisant au minimum, il en reste quelque
chose, et cela suffit peut-être à rendre les histoires familiales des
Rostov, Bezoukhov et Bolkonsky attachantes. Si la chaleur des Rostov,
la raideur des Bolkonsky y sont donc un peu restituées, cette
adaptation fait l’impasse sur les dimensions philosophiques,
essentielles, de ce roman.
Les Russes, en effet, n’ont pas de
tradition de grands philosophes spécialisés dans cette discipline, ce
sont leurs romanciers qui en tiennent lieu, de Dostoïevski à
Soljénytsine, en passant par Tolstoï.
Réflexion sur les faiblesses
et les grandeurs de la nature humaine, mise à l’épreuve des vertus
chrétiennes devant les horreurs de la guerre (on se rappellera par
exemple Pierre Bezoukhov tenant Napoléon en ligne de mire avec son
fusil et renonçant à son projet pour secourir un enfant cerné par les
flammes), mais aussi interrogation sur le sens de l’Histoire, et qui
n’est pas sans rappeler celle d’Eschyle dans Les Perses,
comment est-il possible de réduire ce livre à une succession de bals à
la Cour et de batailles d’opérette ? Où sont passés les tourments de
Pierre Bezoukhov, sa quête spirituelle, ses tentations d’ésotérisme,
son initiation maçonnique, son engagement social en faveur de ses
paysans serfs ? Que reste-t-il de la faiblesse et de la rédemption de
Natacha Rostov ? Que sont devenus les vertus du peuple russe, son
attachement viscéral à sa rodina (patrie), sa capacité à endurer la souffrance exaltés par Tolstoï ? Comment tout cela a-t-il pu disparaître ?
Le
téléspectateur a eu droit, au final, à une bluette tournée dans des
paysages avec de la fausse neige et des erreurs incroyables au niveau
de l’authenticité. Il me semble bien avoir vu, filmée soi-disant à
Moscou, la très célèbre église du Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé,
alors que tous ceux qui connaissent un peu la Russie savent qu’elle se
trouve à St- Petersbourg. Circonstance aggravante, cette église
n’existait pas à l’époque napoléonienne puisqu’elle a été construite à
partir de 1883 à l’endroit précis où Alexandre II fut mortellement
blessé lors d’un attentat deux ans plus tôt.
Rares ont été les
moments où j’ai retrouvé cette présence russe, si puissante dans le
livre : un bout de cérémonie religieuse, quelques ors du palais d’hiver
à St-Petersbourg, une isba en bois... mêmes les guitares des Tziganes
étaient des guitares « espagnoles » à six cordes et non pas sept.
Franchement,
mettre autant d’argent dans un film si médiocre au regard du livre dont
il est tiré, n’honore pas ceux qui ont mené ce projet.
Texte par Léon
Source: http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=33215